Elena, 68 ans

Tatouée par Alex Labeguerie / La Dame gantée

Le tatouage a été pour moi ma véritable reconstruction. À la place des cicatrices et des défauts il y a maintenant une œuvre d'art !

  

J’ai eu deux cancers du sein droit. J’avais 59 ans lors du premier, et 64 pour le deuxième. Le parcours a été long et difficile. On m’a fait une mastectomie totale, y compris du téton, ce qui a été très dur moralement. D’autant plus que la chirurgienne m’avait assuré que j’aurai une cicatrice en T : au réveil j’avais une cicatrice transversale de 32 cm. Je n’ai pas pu me faire reconstruire directement. On avait prévu de me faire une radiothérapie, on m’a donc posé une prothèse provisoire. Finalement, je n’ai pas eu d’autre traitement.

 

Je souhaitais une reconstruction par lipofilling, et comme j’avais une forte poitrine, mon sein gauche a dû d’abord être réduit. La chirurgienne m’avait parlé de deux ou trois injections, mais à la troisième, il en fallait au minimum deux de plus, soit cinq. C’était loin d’être satisfaisant mais je me suis dit que je m’en contenterai. Grave erreur ! Je me supportais de moins en moins. Tous les matins, mon compagnon entendait la même rengaine : « c’est moche, je ne me supporte plus… ». Mon parcours a été douloureux et a provoqué une dépression.

 

Plus le temps passait et moins je me voyais repartir à l’hôpital pour d’autres interventions. Je n’avais plus confiance, j’avais suffisamment souffert dans mon corps et ma tête et je voyais bien que le résultat final ne serait jamais satisfaisant… Les médecins font de la chirurgie réparatrice, mais pas forcément esthétique.

 

Je n’avais pas envisagé de me faire tatouer : à mon âge, ce n’est pas une démarche spontanée. Mais un jour, je me suis souvenue d’un reportage sur le tatouage post-cancer du sein. Lorsque j’ai évoqué le sujet avec mon compagnon, il était assez réservé, mais sa fille m’a aidé à lui faire accepter l’idée. J’ai découvert le travail d’Alexandra sur les réseaux et nous avons tous les trois trouvé son art remarquable.

 

J’ai eu la chance d’avoir un rendez-vous le 8 mars 2021, pour la journée internationale des droits des femmes. C’était plus qu’un signe. Je suis arrivée chez elle charcutée, meurtrie, diminuée et j’en suis ressortie transformée. Le tatouage a été pour moi ma véritable reconstruction, il a changé ma vie. À la place des cicatrices et des défauts, il y avait une véritable œuvre d’art !

 

Le changement a été non seulement physique mais aussi psychologique. Toutes les personnes de mon entourage qui étaient au courant de mon parcours et de ma démarche ont vu le changement sur mon visage, je n’avais plus le regard triste. J’ai repris confiance en moi, je n’ai plus honte de mon corps, au contraire je le trouve sublimé. Je me le suis réapproprié. Je suis même retournée voir ma tatoueuse pour qu’elle m’en rajoute une partie. Toutes les personnes qui le remarquent le trouvent magnifique.

 

J’ai souvent pensé aux civilisations pour qui les tatouages sont des rites de passage… Je crois que les femmes meurtries puis tatouées retrouvent non-seulement une belle image mais aussi une force. C’est une façon de fermer une page douloureuse, tout en gardant l’empreinte de l’épreuve traversée et de la bataille gagnée. Je veux montrer aux femmes que le tatouage est une solution, même pour les plus âgées. Le tatouage n’est pas réservé aux jeunes !


Retranscription du témoignage par Mélissa Castillon.