Sandrine

Le vide appelle l’encre

Sandrine 46 ans

Tatouée après un cancer du sein

Tatoueur David Agora Tattoo Bordeaux

 

On m’enlevait un cancer avant d’enlever un sein.

Été 2014, on m’a diagnostiqué un cancer du sein. Chimio, deux opérations, radiothérapie… Me voici transformée en amazone !! Non pas par choix mais pour traiter un cancer du sein.

 

C’est assez violent de perdre un morceau de soi et notamment cette part importante de ma féminité. Corps médical, amis, famille, tous s’accordent à me rassurer : «tu verras, tu vas te faire reconstruire, ils font ça très bien». D’accord, mais pour moi ce n’est pas la priorité, comment vous dire que c’est un soulagement qu’ils m’enlèvent un sein, parce que ce qu’ils m’enlèvent avant tout c’est un cancer !!!!

 

J’ai été très soutenue durant la maladie. Pour marquer la fin du parcours de soin, j’ai eu envie d’un deuxième tatouage. Dans l’intérieur du bras, j’ai fait graver quatre mains pour représenter les quatre personnes qui ont été très présentes durant ma maladie : mon fils, mon compagnon, une collègue de travail et une amie. Les autres personnes sont représentées dans deux auras de lumière.

J’avais envie de faire apparaître la vie, laisser une trace de toutes ces personnes qui ont été si proches. Je me sentais redevable. Quand j’ai dit à ces quatre personnes qu’elles seraient toujours là avec ce tatouage, leurs réactions ont été très émouvantes. 


Et puis le projet des femmes tatouées est arrivé.

J’avais envie d’habiller ce corps, remplir cet espace libéré. C’était pour moi et aussi pour mon couple. Quand je me regardais dans le miroir, je me trouvais moche. Cela avait des conséquences aussi sur mon couple.

Au début j’avais seulement envie de nature, des quatre éléments et de montrer la chair. J’ai dit à David mon tatoueur que j’aimais aussi l’art nouveau. Il a fait quelques dessins en y rajoutant un visage.

Face à la maladie, cet orgueil que je peux avoir parfois m’a donné de la force. Je n’allais quand même pas m’arrêter de vivre parce qu’on m’avait enlevé un morceau ! Dès le premier tracé, je me suis sentie mieux. Ce tatouage a comblé le vide. Il a remplacé le sein par quelque chose qui vaut plus qu’une prothèse en plastique.

 

Après ces neuf séances de tatouage, j’apprécie de me regarder. Le dessin encadre même l’autre sein et c’est joli.

Mon conjoint ne voulait pas que je fasse ça seulement pour lui. Cela ne lui posait pas de problème que je reste comme cela. J’ai quand même également entendu des « qu’est ce qu’elle va faire encore ? » par certains.

 

D’ailleurs, pendant la maladie, j’ai découvert que je voyais beaucoup plus les femmes malades dans la rue, celles qui portent des perruques, celles qui se maquillent plus fort…On se cache, on se camoufle alors qu’on est juste malade.

 

Je comprends que la médecine permette de refaire les corps endommagés mais ce ne devrait pas être forcément la norme. Il existe d’autres manières. Le top serait de trouver sa place parmi les autres propositions. Je connais une femme qui ne porte pas de prothèse et qui le vit très bien.

 

Moi, j’ai très vite refusé la reconstruction sociale, l’idée que l’on doit avoir deux seins pour être femme. Certaines de mes amies se projetaient et lançaient des « c’est horrible » alors que ce n’était pas horrible du tout ! On m’enlevait un cancer avant d’enlever un sein.

 

Dès le début de la maladie, on m’a parlé de reconstruction mais je trouvais déjà obscène d’évoquer ces opérations. L’enjeu n’était pas là pour moi, je devais me débarrasser d’une maladie. J’ai alors commencé à réfléchir.

 

Ce cancer c’est la maladie de l’avenir. On n’en est qu’au début. Pourtant on cache les malades. On ne les voit pas.

Aujourd’hui, il y a plus de femmes qui meurent du cancer du sein que par accident de la circulation. Il existe des idées qu’on m’a aussi lancées « ça se soigne bien ». 18 000 femmes en meurent chaque année, ce n’est pas rien… Souvent je me suis demandée à quel moment je pouvais partir : pendant la chimio, durant les opérations ? Qu’est ce qui allait me faire mourir ? Avec cette maladie, tu peux décéder des années plus tard. Je prends encore des médicaments. On se bat, on gagne un combat mais ce cancer reste une maladie chronique. Je suis en surveillance permanente.

 

C’est le regard des autres qui me gêne encore. Je remplis les poches de mon chemiser avec des mouchoirs et si quelqu’un arrive chez moi et que je ne porte pas ma prothèse, c’est la panique.

 

Ce tatouage me redonne une identité. Il n’a pas vocation à être esthétique même s’il est très beau. Face à la glace je n’étais plus moi. Avec ce tatouage, je suis mieux que moi.

 

Aux femmes, je dirais qu’il faut mûrir un tatouage.

La douleur est aléatoire. Certaines séances ont été raccourcies, David s’est adapté à ce que j’étais capable de supporter. Au début j’avais une appréhension à montrer à David ma cicatrice mais il avait aussi besoin de voir. Pour lui aussi ce n’est pas un acte banal, la démarche a été importante pour lui. Grâce à sa sensibilité, il a compris mes quelques mots, a écouté des choses que je n’avais dites à personne d’autre.

 

Aujourd’hui, j’ai en tête une autre pièce qui ferait le lien entre les deux tatouages de mes bras. Le vide appelle l’encre.

Ma rencontre avec toi Nathalie et ce projet m’ont encouragé à poursuivre mon histoire avec les tatouages.